MEMOIRES (7)

Un jeune ami, qui a plaqué son travail de fiscaliste pour faire carrière dans le bel canto, m’adresse des échantillons de mélodies, en vue de récitals thématiques que nous projetons d’organiser rue Saint-Ambroise. Il a choisi du Claude Terrasse, du Messager, du Gilbert & Sullivan. Je lui envoie des chansons 1900 qui appartiennent moins, elles, au répertoire de l’opérette que du caf’ conc’. Frou-frou. Fascination. Reviens. Il ne les connaissait pas, elle le ravissent. Il réécoute en boucle, m’écrit-il, Ah, ce qu’on s’aimait

J’ai moi-même réécouté, hier soir, cette valse que je connais par cœur. C’était une version de 1941, chantée par André Claveau, un artiste peu résistant. Son portrait inaugure un petit montage, concocté sur YouTube par un amateur de vieilleries. A chaque phrase, une nouvelle photo apparaît, séparée de la précédente par un fondu numérique. J’ai retrouvé la chambrette d’amour. On voit la photo d’une chambre à l’ancienne, dans le style Airbnb. Est-il question de mansarde ? On voit une mansarde. Quand la chanson dit : Nous revivrons au coin du feu/ Toute not’ jeunesse, Claveau se débrouille, je ne sais comment, pour faire entendre la dernière syllabe du mot notre. Une image de feu crépitant dans l’âtre vient appuyer ses paroles. Quant au rêve bleu de l’envolée finale, il se traduit par une dominante bleutée au fond de laquelle s’échange un baiser.

Un autre pourvoyeur d’archives, plus chic, illustre la mélodie qu’il met en ligne avec des cartes postales Belle Epoque. On y découvre un couple, genre Colette et Willy, qui vit toutes les étapes de la séparation. Le mari morigène sa femme infidèle, et celle-ci se tient comme une écolière fautive. Il la renvoie chez sa mère. Elle fait ses valises. Il consent à pardonner. La chanson ainsi mise en scène, c’est Quand l’amour meurt, dans un enregistrement grésillant datant de 1931. Je constate que dans la première occurrence du refrain, le chanteur garde pour la bonne bouche la note très haute qu’il va donner, dans la seconde (Et l’on reste à jamais meurtriii/ Quand tout est fini). Il y a aussi, sur YouTube, la voix de Fragson, semblant sortir d’une caverne antédiluvienne. Je m’imagine mal, si je poussais la chansonnette rue Saint-Ambroise, pouvoir monter autant dans les aigus.

Fragson n’a pas de ces scrupules. Il y va, même si sa voix dégringole, au moment le plus pathétique (Je veux retrouver tout mon bonheur perdu). Il n’économise pas ses effets. Je le devine, vieillissant, perché derrière un énorme microphone avec un pianiste qui essaie de suivre. C’est un fantôme un peu ridicule. Quand il brame, avec une conviction terrible (Reviens, veux-tu/ Aucune femme vois-tu n’a jamais pris ta place en mon coeur, amie), je pleure.

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