JALOUSIES (4)

Je me suis aperçu qu’une vieille amie, qui habite maintenant le sud de la France, avait posté en guise de profil Facebook une photo prise par moi. Elle y est belle et radieuse, portant des lunettes noires, telle qu’elle veut paraître. Je suppose que c’est la raison pour laquelle elle publie cette image (ne connaissant sans doute pas le moyen d’isoler un détail, car ses compétences numériques sont limitées). Elle aurait pu me demander la permission, d’autant que cette photo, prise dans la campagne toscane, la montre avec ma mère, qui s’essouffle à la suivre, et Cyril qui pavoise. Il porte le superbe costume Dior, gris perle, qu’il promenait un peu partout, et pouffe de rire à je ne sais quelle bêtise que j’ai dû dire. Ce souvenir me saute à la figure, ainsi exposé, et commenté par l’amie en question : à quelqu’un qui lui demande si elle a changé de fiancé, elle répond que c’est un ami peintre, établi depuis peu dans la région.

Mon sang ne fait qu’un tour. Enfin, plusieurs tours. Un verre de vin rouge à la main, j’ébauche un commentaire désobligeant en dessous de la phrase incriminée (il faut préciser que cette consultation se fait depuis la page Facebook de ma mère, ce qui m’a permis de constater que Cyril, qui m’a bloqué, a liké la maudite photo). Cela pourrait être quelque chose comme : Quelle idée d’aller s’enterrer là-bas avec son officier prussien ! Je m’avise que cette remarque n’est pas très aimable pour notre amie Laure, qui a elle-même fait le choix de vivre dans le midi avec son amoureux, et qu’elle risque d’en mettre en difficulté la signataire (ma mère). J’efface les mots à peine formés, et j’appelle ma mère.

Elle éteint la télévision, toujours active en cette heure vespérale. Elle est choquée, elle aussi, que Laure ait publié unilatéralement cette photo blessante pour moi. J’insinue que la photo est également déplaisante pour elle, Michelle, qui n’y apparaît pas sous son meilleur jour. Je lui dicte les griefs à formuler à notre amie, lorsqu’elle l’appellera demain matin. Si elle veut, je peux me charger moi-même de recadrer la photo. Je préfère ne pas l’appeler directement, c’est plus diplomatique si cela passe par la voie maternelle. J’en profite pour critiquer l’installation de Cyril dans le Vaucluse, que va-t-il faire dans cette galère ? Ma mère me répond que c’est son droit.

Je vérifie si Laure, par hasard, n’aurait pas publié d’autres posts tombant sous le coup de mes fureurs. Il n’y a que des liens vers des articles. Il y a, dans son historique, d’autres photos de Cyril en sa compagnie (mais c’est moi qui les ai postées, comme du reste celle qu’elle affiche aujourd’hui). Je retourne consulter sa page, à lui, où m’énervent les fantômes d’amis communs, et l’impossibilité où je suis d’accéder à toutes ses publications. Toujours le même commentaire de Rosette, le même portrait que j’ai vu cent fois. Dans les archives du réseau social, des images qui n’en finissent pas de revenir, des images que j’ai postées, au temps de notre bonheur, et qui me désespèrent. Cette boutique à Londres, où il faisait l’imbécile avec un rire d’enfant. Je découvre une photo, au moins une, que j’ignorais. Elle est probablement prise dans son ex-appartement du onzième arrondissement, il est en train de lire un livre. Ses cheveux retombent élégamment, son demi-rasage est harmonieux. Il a un côté jeune premier qui recouvre son côté sale gosse, quand nous étions ensemble. Je pleure, intérieurement, de l’absurdité d’être séparé de lui.

Sur son site, peu de nouvelles toiles. Je ne sais pourquoi, je remonte une énième fois vers les années 2017, 2016, comme si j’allais surprendre dans le passé un événement qui aurait échappé à mon inspection. Mon portrait est resté en place, parmi les autres. Rien n’a bougé. Il y a deux ou trois articles inconnus de moi, qu’il a mal scannés et que je déchiffre difficilement. Celui qu’on vient de lui consacrer dans Art Press, et dont j’ai été le lointain artisan en le faisant écrire dans cette revue. “Ma mère” pourrait signer un commentaire Facebook à ce propos. Je fais les cent pas sur cette scène, je vois des traîtres à chaque détour. Je rêve qu’il se passe quelque chose.

Il a mis sa nouvelle adresse. Je vais sur Google Maps regarder à quoi cela ressemble, la rue B…. à B…. Des portes closes, une rue déserte. Je fais avancer la flèche, plus loin, pour en voir davantage.

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