FICTIONS (3)

Dans le couloir, hier soir, en allant me coucher, j’ai une minuscule réminiscence de la maison de Cancale. C’est ma grand-mère que j’y revois, montant dans sa chambre ou vaquant à quelque occupation. C’était l’espace des grandes personnes, elles s’y livraient à des choses sérieuses tandis que je m’affalais devant la télévision. Tandis que Simone Valère et Jean Desailly se déchiquetaient, sous mes paupières tombantes, Eugénie Royer éteignait les lumières. Elle se brossait les dents, là-haut, dans sa salle de bains noire et blanche qui datait des années trente. Des produits de beauté, restes de son ancien commerce de parfumerie, ajoutaient à ce côté passé. 

Des portraits, un peu partout, rappelaient les morts qui avaient traversé sa vie. On y voyait une petite fille, en robe de première communiante, dans un décor de photographe voilé de flou. Un couple de parents, d’âge déjà mûr. Une jeune femme. Tous avaient en commun de bonnes joues rondes, un dessin net qui émergeait de l’arrière-plan. Je savais que certains d’entre eux étaient morts dans des circonstances tragiques, mais leur présence me rassurait. D’ailleurs, je ne raccordais pas vraiment ces portraits aux récits terrifiants qu’on m’avait faits. Ils étaient devenus des images. Cela suffisait.

Je songeais à ce prestige de la maison, l’autre soir, en regardant une énième mouture d’Amityville. Dès qu’une figure effrayante (ou supposée telle) surgissait, Charles à mes côtés poussait un hurlement d’enfant. Les truquages fonctionnaient moins bien. Ce qui marque l’imagination, c’est la présence qui rôde, et qui ne se montre pas trop. La maison hantée, c’est le lieu où tout est possible (la psychose) mais où la structure l’emporte (la névrose). Où la mort devient un objet de rêverie, agréable, acceptable. Où le chaos se fait récit.

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