CHERCHEURS (8)

Nouveau Skype, hier après-midi, pour commenter un film que j’ai demandé à mes étudiants de regarder. La semaine dernière, ils n’étaient plus que deux. Le garçon aux cheveux longs, un peu snob, qui avait sollicité une séance sur Les Amours d’Astrée et de Céladon, a disparu. Il a dû être agacé par mon choix de films des années trente. Restait une demoiselle aux cheveux courts, au look queer, qui m’a proposé un dossier sur un opus de Michel Gondry. Elle ramenait la question féministe hors de propos, disait tout et n’importe quoi, ne se laissait pas démonter par mes réponses. Elle est partie.

J’imagine que mes propos décousus, sur des films en noir et blanc qu’ils découvrent en mauvaise définition sur YouTube, les ont lassés. Ils ont une note-plancher de 12/20, ils sont sûrs d’avoir leur semestre. C’est humiliant pour moi. Cela permet d’officialiser le tête-à-tête qu’étaient, peu à peu, devenues ces séances, avec le plus brillant élément de la petite troupe. Il est fidèle au poste, prêt à prendre des notes. J’affecte de croire, pour sauver la face, que tous les étudiants sont frappés du COVID. Il rit poliment. Non seulement il a vu Thérèse Desqueyroux, mais il a commencé à lire le roman de Mauriac. Il me fait des remarques que je trouve fines, sur le goût des monstres qui rapproche Mauriac de Franju. Il sait qui est Edith Scob, il a vu Les Yeux sans visage, et Emmanuelle Riva dans Hiroshima mon amour. Le dossier qu’il prépare pour moi, d’ailleurs, porte sur l’adaptation de L’Amant de Marguerite Duras. Je devine un goût du lyrisme, qui le rend sensible à ces histoires de femmes passionnées.

Autant que le traduit la connexion défectueuse, qui hache les phrases et décompose le visage, il est animé d’un enthousiasme rafraîchissant. Le seul fait, dans ce désert, d’être capable de citer Baudelaire ou Nietzsche est un miracle que je n’attendais plus. Je saisis les perches qu’il me tend, en m’emmêlant dans des références philosophiques que je ne maîtrise guère, en cachant ma dilection coupable pour les vieilleries mauriaciennes. J’enrobe mes affects d’un supposé savoir, et il note mes formules. C’est lui qui m’éclaire, tel Jean Azevedo, le bel étudiant qui interrompt l’ennui provincial de Thèrèse, et lui fait entrevoir la vie de l’esprit. Ses cheveux forment un casque en désordre, à la manière d’un jeune premier d’avant-guerre.

Je déambule dans ces allées mortes, dans ces chemins qui ne mènent nulle part. Il me donne l’illusion, quelques instants, que je n’y suis pas seul. Puis, ayant écrasé une cigarette, elle marcha au hasard. Je lui récite, en me trompant, cette phrase finale du roman, qui semble le troubler. Un roman s’ébauche, en moi, tandis qu’une fois notre dialogue terminé, je vais rechercher sur Facebook l’image de ses traits purs.




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