CHERCHEURS (7)

Le film que j’ai choisi pour mes étudiants, cette semaine, est Regain de Marcel Pagnol. Ce n’est pas mon préféré, mais c’est le seul que j’aie trouvé sur YouTube (dans une qualité médiocre). La veille de notre séance Skype, pour me donner bonne conscience, j’en revois quelques morceaux. Ce n’est pas meilleur que dans mon souvenir : une succession de scènes à faire, où Fernandel, notamment, cabotine à outrance. Après vérification sur Wikipédia, ce personnage, dans le récit de Giono (que j’ai lu il y a fort longtemps), n’était pas si développé.

Mes étudiants ne l’ont pas lu. Les deux jeunes filles gardent le silence. Les deux garçons, comme d’habitude, occupent le devant de la scène, et saisissent les perches que je leur tends. J’ai du mal à établir un vrai dialogue, à plus forte raison sur cette machine. C’est plutôt un monologue, précédé d’une ou deux questions où j’essaie de leur faire deviner d’avance ce que je vais dire. Une fois lancé, je ne m’arrête plus. Ils n’ont pas su déceler le discours crypto-pétainiste du film (ils n’ont jamais rien vu de Pagnol). Qu’à cela ne tienne, je pars dans des synthèses historiques qu’ils écoutent, le casque aux oreilles. Sur l’importance de la parole, et du décor naturel, un étudiant me fournit les bonnes réponses pour nourrir ma logorrhée.

Je n’oublie pas l’obligatoire parenthèse sur la place de la femme dans cet univers. J’admets qu’on puisse trouver de la misogynie chez Pagnol (cf. La Femme du boulanger), mais pas dans ce film. Je détaille les épisodes qui appuient mon point de vue. Cela ne convainc guère l’étudiante silencieuse depuis le début – ou peut-être ne m’a-t-elle pas entendu. Elle se manifeste : “Si on montrait ce film à une féministe, elle serait choquée.” J’affecte un calme aussi grand que mon énervement intérieur. Je prends la voix la plus suave pour l’inviter à développer sa pensée. Elle cite la séquence où le personnage d’Orane Demazis se fait violer par plusieurs hommes. Elle pourrait citer la suite (où Fernandel l’utilise comme bête de somme pour transporter sa meule), mais je ne lui en laisse pas le temps.

Faut-il confondre les actions des personnages avec la vision du metteur en scène ? Est-ce que Pagnol au contraire, dans ces séquences (dans celle, aussi, où le rémouleur vend au paysan sa compagne pour le prix d’un âne), ne décrit pas avec noirceur la condition féminine dans ces milieux ? Elle en convient, et les garçons, autour d’elle, doivent s’amuser qu’on ramène toujours ce sujet sur le tapis. Je ne prétends pas pour autant, dis-je en riant, que Pagnol soit féministe. D’ailleurs, ce n’est pas un critère de qualité cinématographique. Elle est K. O., renonçant à me répondre, n’en pensant pas moins. Les fenêtres se referment l’une après l’autre, l’écran se vide.




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