CHERCHEURS (1)

Reçu un mail d’un chercheur autodidacte, qui se consacre, depuis des lustres, à des ouvrages d’érudition sur des cinéastes plus ou moins oubliés. Il a eu sa petite heure de gloire, récemment, en exhumant des textes inédits de T… J’ai fait plus de mille notes, m’a-t-il déclaré, alors que je l’interrogeais en vue de mon volume d’articles de Rohmer. Cette phrase m’a trotté dans la tête, comme un remords – tandis que je me persuadais qu’il n’était pas besoin d’en faire autant. A quoi bon retrouver l’origine de telle citation de Boileau, ou de Stendhal ? Cela alourdira la lecture, et me rendra fou. Si j’ouvre cette boîte de Pandore, il n’y aura aucune limite à la frénésie des notes en bas de page. J’ai choisi un compromis arbitraire : n’annoter que les références à des articles de presse, contemporains de ceux de Rohmer. Encore n’ai-je rempli qu’incomplètement ce contrat, abandonnant la partie lorsqu’un recoupement sur Google Books, ou sur Gallica, s’avérait trop compliqué.

Rouvrant le volume publié, j’avais encore cette phrase en mémoire. J’ai fait plus de mille notes. Dans le métro, devant des gens qui me voyaient tourner les pages frébilement, j’ai compté mes notes à moi, espérant un chiffre respectable. Quarante-neuf. Même pas cinquante. En plus, j’ai oublié d’annoter l’allusion au livre de Claude-Edmonde Magny sur le roman américain. Après tout, j’ai mieux à faire. Je ne suis pas doué pour les travaux de bénédictin. J’ai d’autres livres à écrire. Ainsi me consolais-je, tout en revenant, en esprit, vers cette note manquante, aussi tenace que la tache de sang de Lady Macbeth.

Mon crime aurait fini par tomber dans une nuit profonde, si je n’avais reçu, hier, ce funeste mail. Le chercheur en question a retrouvé une lettre de T… à Audiberti, il voudrait confirmer la date de projection d’un court métrage de Rohmer. D’après ma biographie de celui-ci, le tournage aurait eu lieu à l’automne 1954. C’est impossible, me dit-il, puisqu’en juin… Je le renvoie vers le co-auteur du bouquin, auteur du passage incriminé. Mû par l’envie de briller, je lui demande s’il a lu mon recueil, nouvellement paru, d’articles de Rohmer. Il a retrouvé, me répond-il fièrement, la date de cette fameuse projection, perdue dans les colonnes des Cahiers du cinéma.

Quant à mon recueil, il l’a acheté. Il concède que c’est une belle idée d’avoir réédité ces textes, ajoutant que côté édition critique, je ne me suis pas foulé. Je me suis contenté, selon lui, d’envoyer le tout à la dactylo. Ne crois-tu pas que Rohmer méritait mieux ? Sidéré, je prépare une riposte argumentée, détaillant le temps passé à la préparation de cet ouvrage. Je ne vais quand même pas lui faire valoir ma préface. On ne peut répondre à l’irrationnel que par l’irrationnel (par le silence, aurais-je mieux fait de me dire). Qu’appelles-tu “édition critique” ? D’innombrables crottes de mouche que personne ne lit, et que tout un chacun peut retrouver en ligne ? En effet, Rohmer méritait mieux… CQFD. J’y ajoute un Amitiés, qui se voudrait le coup de pied de l’âne. Je ne suis pas mécontent de ma sortie. Je ne peux m’empêcher, ce matin, de guetter sa réponse.




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