CHATS (2)

J’observe, entre les chats, des jeux de pouvoir. Le mien (Gaby) a cinq ans, celui de Charles (Mehdi) a le même âge. La chatte de Charles (Médée) est plus âgée. Elle a un regard mort, elle miaule à tort et à travers, descend au sous-sol, remonte, terrorisée, pour peu que je l’y invite d’une voix forte. Elle passe l’essentiel du temps à dormir, ou à contempler, sans y prendre part, le manège des deux mâles. Mehdi est un chat suractif, toujours dans vos pattes, se précipitant au bord de l’évier pour quémander de l’eau, se nichant, bruyamment, sur le faux plafond de la salle de bains pour dominer la situation. Ce n’est pourtant pas un chat de gouttière, contrairement à Gaby. Il appartient à une race dont j’ignore le nom, ce qu’attestent son allure de tigre et ses yeux verts. Il a cru, dans ses premiers temps rue Saint-Ambroise, en remontrer à Gaby qui revenait de chez ma mère, et qu’il prétendait renvoyer au rôle de touriste.

La préséance de mon chat s’est bientôt affirmée, d’assez curieuse manière. Chaque matin ou presque, irrité par les attaques de Mehdi qui allaient du feulement à l’agression physique (en passant par l’inspection olfactive de l’arrière-train), Gaby se postait devant le belligérant et poussait une longue plainte, douce et lancinante, qui ressemblait à une offrande de paix. C’est du moins ainsi que je l’interprétais, n’ayant pas l’heur d’assister aux tractations qui se jouaient en coulisses. Quoiqu’il en soit, et sans se départir d’un calme apparent, Gaby a conquis bon an mal an le statut de chef du territoire. Quand il passe dans le couloir, lent, un peu gêné par son poids, imperturbable, Mehdi continue sans conviction de lui renifler le derrière, pour tenter de le faire déchoir de son piédestal. L’autre met un terme feulant et sans réplique à ce reste d’insoumission. Le vassal s’écrase littéralement, se couchant par terre en signe d’allégeance, tel Charles le Téméraire face à Louis XI.

Ces hiérarchies félines restent occultes. Un chat provenant du voisinage, gros, ébouriffé, l’œil hagard, se fait promptement chasser par les deux nôtres, ligués pour bouter l’ennemi hors de leur pré carré. Un cinquième larron, qui ne paie pas de mine, avec son banal pelage roux, leur inspire, lui, une mystérieuse terreur. J’ai vu Gaby, certain soir, réfugié dans les arcanes de mon sous-sol pour fuir l’intrus. Celui-ci va jusqu’à s’installer à la place préférée de celui-là (un promontoire d’observation au-dessous d’un arbre, où s’aventurent parfois les pigeons), sans que mon chat ainsi détrôné ose protester. Il reste immobile au milieu de la cour, Mehdi étendu non loin de lui, Medée les regardant, le félon les narguant depuis son royaume usurpé, comme s’ils reproduisaient un enchantement médiéval.



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