CHARLES (9)

Première engueulade avec Charles, depuis le début du confinement. Alors que nous sommes en train de regarder L’Aventure du Poséidon (c’est notre séquence “films catastrophe”, entamée avec 747 en péril, poursuivie avec La Tour infernale, dans les haus cris d’une terreur qui nous force parfois à nous voiler le visage), je fais une remarque sur ces hommes qui s’emploient à redresser un arbre de Noël, pour échapper au piège où ils sont tombés. Le bateau s’est renversé, il y a eu des morts. Je reprends, sur un ton persifleur, mon antienne sur l’inégalité entre les sexes, qui n’est pas celle qu’on nous serine en permanence. “Ce sont des femmes qui font ce boulot ? Encore une preuve de la domination masculine !“

On a eu plusieurs fois cette discussion, concernant des féministes qui se plaignent que les femmes soient exposées davantage au COVID – ou aux guerres. Charles n’entre pas dans mon jeu. Je lui reproche de se censurer sous l’effet d’un surmoi, ou sous l’influence de son ami Viken (dont l’ombre-repoussoir hante nos débats, et il s’en amuse d’habitude). Il durcit le ton. Il me dit que ce sont des hommes qui sont aux commandes du navire, et responsables du naufrage. Cette mauvaise foi m’exaspère. Je ne sais pourquoi, je sors de mes gonds, haussant la voix tandis qu’il affecte un calme dédaigneux. J’ai l’impression qu’il me provoque, qu’il fait tout pour que j’explose. Dans une crise d’autorité, j’interromps le film.

Il résiste à mes tentatives de lui faire admettre l’évidence (ou ce que je considère comme tel). Il se lève, il va se coucher. Je sens le sol se dérober sous moi, un abîme qui s’entr’ouvre dans notre vie commune, alors que jusqu’ici tout se passait le mieux du monde. Nous sommes restés près de deux mois confinés ensemble, sans aucun conflit. Je m’empresse de m’excuser. Je réitère mes excuses, tout en lui reprochant de ne jamais se remettre en question. Quand tu seras calmé, me dit-il. Non, non, je suis très calme. Il revient s’asseoir. J’avoue que je m’emporte facilement. “Mais cela retombe aussitôt.”

On remet le film en marche. J’ai une larme prête à sortir, lui aussi sans doute. Je me garde d’une effusion qui lui ferait trop plaisir, qui comblerait son goût du pathos (car il a le pathos larmoyant, quand je l’ai tonitruant). Les hommes, au fond du navire, sont arrrivés à redresser l’arbre. On fait une ou deux remarques convenues, pour montrer qu’on s’intéresse à l’histoire, qu’on est repris dans le flux du récit. Combien vont survivre ? On a peur pour les autres.



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