CHARLES (8)

Discussion de trottoir, l’autre jour, avec Charles, alors que nous marchions vers le quartier de ma mère. J’étais tellement agacé par notre polémique que je n’ai pas perçu un mot de ce qu’elle disait, depuis son balcon, dans le vacarme de la rue et des voitures. J’ai bien essayé de l’associer à notre débat, mais le cœur n’y était pas et j’étais de mauvaise humeur, pas à l’aise pour argumenter. Le seul fait que je me sois laissé aller à cette conversation interminable est le signe que je n’étais pas en forme. En temps normal (à supposer qu’il existe jamais un temps normal), j’aurais pesé le pour et le contre.

En l’occurrence, je me suis donné le rôle du détracteur d’Anne Hidalgo, face à Charles qui soutenait mordicus sa politique écologique. La pomme de discorde a été l’annonce, par moi commentée, de la prochaine (et durable) interdiction aux voitures de la rue de Rivoli. Me voici tempêtant contre ces trois heures qu’on passe coincé dans les embouteillages, dès lors qu’on prend un Uber. Sans compter le métro, devenu une Cour des miracles où l’on reste debout au milieu de gens serrés comme des sardines. Charles a beau m’expliquer que ce n’est pas du ressort de la mairie, que la voiture tue, ou qu’Hidalgo fait une politique courageuse en prenant ses électeurs à rebrousse-poil (l’Histoire jugera, selon lui), je m’emporte en convoquant mes souvenirs de circulation impossible, ou le témoignage d’une copine de banlieue excédée. Je noircis le tableau à plaisir, présentant Hidalgo comme une cynique qui, sous couvert de dépolluer Paris, l’interdit aux pauvres et aux non-Parisiens. D’ailleurs, sa stratégie est dans le droit fil de celle de Christine Boutin, quand celle-ci était ministre du logement. Charles s’énerve de cet amalgame, où se confondent des compétences qui n’ont rien à voir.

Je déploie une mauvaise foi insolente, je ne veux rien entendre, je concède seulement, du bout des lèvres, qu’il est bon de promouvoir la voiture électrique. Cela n’a aucun sens de fermer les voies sur berges toute l’année. Elles sont, au long de l’hiver, désespérément vides, et cela n’a aucun effet sur la pollution. J’ai dû lire de vagues choses à ce propos, je ne crois pas vraiment à ce que je raconte. Je me laisse entraîner, je ne sais où, par la machine aveugle de la parole.



Pas de commentaire

Poster un commentaire