CHARLES (7)

Charles, hier après-midi, en marchant vers les contreforts du Père-Lachaise, me parle de ces garçons avec qui il chatte sur Grindr. On lui propose une partouze à dix, en lui demandant une photo de sa bite (le mot seul figure dans le message). Nous dissertons sur ces gays obsédés de la chose – et qui, si on essaie de mettre un peu de sublimation dans l’échange, feignent d’être sur la même longueur d’ondes, et plus un mot. Je soupçonne Charles d’être moins choqué qu’il ne le prétend par ce vaste lupanar où se vautrent ses semblables. Il a changé, certes, depuis sa rupture amoureuse. Il a vieilli. Il aimerait me faire croire qu’il est pareil à moi, indifférent au sexe et rêvant d’une liaison romantique. Il n’en est pas encore là, et je devine, derrière son procès de la débauche, une fascination persistante.

Je prends un malin plaisir à lui rappeler qu’il y a quinze ans, quand il habitait chez moi rue Jean-Pierre-Timbaud, il passait ses journées sur le Grindr d’alors (qui s’appelait MSN). Il s’en défend, je n’insiste pas. Je consens à nous imaginer fraternels, partageant un idéal amoureux que bafouent les temps modernes. Je tente une analyse de la situation actuelle, de ce “manque du père” qui précipite les gays dans la traque d’un phallus absent. A Paris, me dit-il, la majorité d’entre eux sont passifs (Berlin serait plutôt une ville d’actifs). S’il se présente comme tel dans son profil, il voit décroître les réponses. N’étant guère en forme cet après-midi (je me suis échiné à la relecture de quatre pages de ce journal), je balance des généralités. Par exemple, que les hétéros sont plus fréquentables, parce qu’ils ne parlent pas de cul à tout bout de champ, et ne passent pas autant de temps à mater des photos porno. Il n’en est pas convaincu.

Autre antienne, que je débite sans conviction : la dénonciation des “pédés professionnels”, ces soi-disant écrivains ou cinéastes qui ne se fréquentent qu’entre homosexuels, n’apprécient que les artistes homosexuels et ne mettent en scène que des thèmes homosexuels. Je redis ma haine des ghettos. Tout cela sonne faux, tombe à plat. C’est autre chose que j’aimerais dire. Avec ma psy, la veille, j’ai reparlé de cette présence en moi dont il faudrait que je parvienne à me débarrasser, et qui m’interdit le plaisir. Me voici de nouveau ramené à la surface de moi-même. Je rejoue, comme à quinze ans, les prophètes puritains, acharnés contre ce qui leur échappe.



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