CHARLES (2)

J’entends Charles qui se brosse les dents, à travers la porte du salon qui laisse passer les bruits. Je me demande s’il a été, ce matin, faire le test dont il me parle depuis plusieurs jours suite à ses prétendus symptômes du COVID-19. Il s’est plaint il y a une semaine d’une grosse fatigue, qui l’avait empêché de dormir et forcé de faire une sieste en fin de matinée. Il se sentait fébrile. Je lui ai touché le front, rien d’alarmant. Son thermomètre s’est cassé. Après que je lui ai prêté le mien, sa température est passée de 38 degrés à… 34 (?), pour se stabiliser enfin à 37 degrés et des poussières. Entre temps, une forte douleur à la nuque s’est manifestée, une douleur musculaire qu’il a interprétée comme un signe indubitable. Une migraine, chronique chez lui, est venue se greffer là-dessus. Arthur me dit qu’il a tendance à somatiser, en s’imaginant avoir toutes les maladies dont on parle. Je lui ai connu, en effet, plusieurs cancers et autres fantasmes morbides – et déjà, il y a plus d’un mois, celui du Coronavirus qu’il était persuadé d’avoir attrapé à cause d’une toux.

Aujourd’hui, plus de toux, peu de fièvre, aucun des symptômes classiques. Un médecin appelé en urgence s’est bien gardé de se prononcer. Un autre, consulté le surlendemain en ligne, lui a dit que c’était peut-être ça. Il lui a prescrit un test. Charles ne l’a pas encore fait, il avait oublié de rester à jeun. Sitôt recueilli un diagnostic provisoire, l’établissant dans ce statut de malade qui est presque un titre de gloire, sa douleur à la nuque s’est évanouie. Il s’est promené avec moi, hier après-midi ; on a poussé jusqu’aux hauteurs de Belleville sans qu’il manifeste aucune fatigue. C’est plutôt lui qui était obligé de ralentir le pas, pour que je ne m’essouffle pas trop à le suivre.

Malade imaginaire ou pas, il a droit aux honneurs d’un suivi officiel. On l’a appelé, pas plus tard qu’hier, pour lui proposer une assistance psychologique, et pour le reloger dans un hôtel s’il le souhaite. Il s’amuse de ce manège. Il leur a dit qu’ils feraient mieux de s’occuper des restaurateurs en détresse, ou de la vague de suicides qui s’annonce. J’ignore, en fait, s’il leur a vraiment dit cela. Il y a toujours, dans sa parole, une brume de fiction qui ne me déplaît pas entièrement. Je le vois passer devant ma vitre, un livre à la main, les yeux recouverts de lunettes noires, se rendant probablement au fameux test. Je l’accompagne du regard, sur cette scène.



Pas de commentaire

Poster un commentaire