RÉSEAUX (7)

J’ai retrouvé mon Nicolas Sarkozy. Il s’appelle Donald Trump. Chaque décennie me voit me confronter à un monstre, qui incarne le Mal absolu. Je ne dis pas qu’il n’y ait là que “perception subjective” (comme dit l’autre). Qu’un homme d’Etat de ce niveau puisse nuire au devenir de la planète, ou aux alliances géopolitiques, je ne le sais que trop. Qu’il s’inscrive dans les dérives d’un libéralisme sauvage, c’est matière à réflexion qui devrait être plus poussée que la mienne. Je ne m’attarde pas à ces analyses. Ce qu’il me faut, c’est un méchant, qui parade sur la scène et dont les ridicules me sont odieux. Une déchéance du père, une faillite du surmoi, une marionnette grotesque. Quelqu’un avec qui je n’en finis pas de régler des comptes, à qui je crache à la gueule avec une délectation renouvelée. Un ogre qui me fait peur, mais dont je peux attaquer l’image sans risque de représailles, avec la bénédiction de mon entourage.

Mon père, sans doute, aurait été pro-Trump, par plaisir de choquer et de prendre le contrepied de la doxa. Ma mère pousse des cris au seul prononcé de son nom. Dans un dialogue filmé entre nous, elle m’a même traité de Trump, suprême insulte qui signifie, dans sa bouche, la mauvaise foi et le déni de réalité. Il n’est aucun de mes amis, fût-il de droite, qui ait la moindre sympathie pour ce personnage. Je lui voue, pour ma part, une qualité de haine particulière. Tous les matins, je vais regarder sur Google Actualités où en est sa cote de popularité (Google, d’ailleurs, va au devant de mes désirs en affichant sous la rubrique Pour vous les dernières nouvelles trumpiennes, comme si elles n’intéressaient que moi). Je me réjouis de voir décroître le baromètre de confiance en sa politique, je m’inquiète quand Joe Biden le soupçonne de vouloir retarder les élections. Il est capable de tout. Charles ajoute à mon angoisse, en me décrivant une future guerre civile, des Américains qui prendront les armes pour défendre leur champion. Ses appels à ne pas respecter le confinement, dans certains Etats démocrates, en sont le présage.

Je ne partage pas, pour autant, cette vision pessimiste. Je ne perds pas mon temps, comme tant d’autres, à me scandaliser de ses propos choquants. Quand il prétend qu’il suffit de s’injecter du désinfectant pour soigner le virus, je me mets à douter de la rationalité de sa stratégie. On le dit calfeutré chaque soir devant la télé, frites et coca à l’appui, regardant en boucle ce qui se dit de lui. Ce crépuscule shakespearien est plutôt fait pour me rassurer. Je scrute, sur le visage recadré et un peu flou de sa conseillère médicale, un embarras tragique. Je cherche les brèches, par où je pourrais m’engouffrer hors de ce cauchemar, et triompher du monstre.




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