RÉSEAUX (11)

En revenant de Bourgogne, je me rends compte que l’icône qui désigne le son, sur mon ordinateur, est grisée. Cela arrive souvent quand je le transporte dans mon sac. J’ai beau redémarrer, rien n’y fait. Je dois projeter ma Tour de Nesle à un spécialiste d’Alexandre Dumas, mercredi soir, il est hors de question que mon Mac demeure muet. Charles va sur des forums, il me dit que c’est peut-être parce que mon ordi est saturé. Je devrais supprimer des fichiers, ce que je fais régulièrement.

Il va falloir retourner rue Montgallet, dans l’une de ces échoppes chinoises spécialisées dans les causes désespérées. Ma machine a plus de cinq ans (ce que Charles m’a fait remarquer cruellement). Je préfère encore payer une énième réparation à devoir m’en acheter une nouvelle. Si j’ai un peu de chance, ce ne sera rien et le type règlera aussitôt le problème. J’y vais à pied, m’aidant du GPS alors que je sais le chemin par cœur. Je croise des têtes connues, que j’évite. Je me retrouve aisément en pays étranger, hostile, dans l’environnement le plus familier. Il suffit d’un rien qui me déstabilise : l’énervement, par exemple, de perdre du temps avec ces soucis de néant.

Le type n’est pas là. Un collègue à lui, indolent, me dit qu’il ne connaît rien aux Macintosh. Je n’ai qu’à laisser l’ordinateur en dépôt, avec un numéro qu’il inscrit sur une carte de visite. J’hésite à aller dans une autre boutique, j’ai mes habitudes dans celle-ci, bien que j’y flaire l’arnaque. Mon mot de passe, me demande-t-il, est bien Buridan ? (Avec un n). Je n’ai qu’à rappeler demain pour savoir où cela en est.

Me revoici face à mon antique ordinateur de bureau, immense et caduc. J’ai dû y greffer un clavier que je suis incapable d’utiliser, car il est conçu pour un PC. J’ai aussi acheté un clavier Apple, mais les piles en sont épuisées. Je m’échine à débusquer l’arobase ou le copier-coller, que je vais chercher dans un texte préexistant et déplace, à la force du poignet. Les tirets marchent une fois sur deux, à l’intuition. Si j’essaie de les reproduire, j’échoue. Je tâtonne en tapant l’e dans l’o ou la capture d’écran, et je m’y reprends plusieurs fois. J’ai enfin repéré que la majuscule fermée se trouve en dessous du six.

Quant à internet, le mastodonte exige un code pour y avoir accès, un code que je n’ai pas utilisé depuis des siècles et qu’il faut aller exhumer sous la Box. La connexion s’absente fréquemment. La plupart des logiciels ne sont pas à jour, et envoient des signaux de détresse. C’est un champ de ruines, au milieu desquelles je suis parvenu à faire ma déclaration d’impôts. J’ai relancé les employés de la rue Montgallet, laissé des messages, envoyé des mails qu’ils ne consultent pas. Coincé au bout du fil, le type m’a expliqué, d’une voix si rapide que je ne comprenais rien du tout, qu’il devait prendre le temps d’effectuer un diagnostic. Le lendemain, son collègue m’expliquait qu’il était de sortie le mercredi. C’est toujours moi qui rappelle.

Ce matin, il m’a laissé un message vocal, dont le manque de précision m’a inquiété. Au téléphone, il me dit que la carte son a été réparée. Cela me coûtera cent vingt euros. J’irai chercher mon ordinateur cet après-midi, ce sera une nouvelle occasion de me perdre.




1 Commentaire
  • Patricia Roche de La Celle
    Posté le 10:26h, 10 novembre Répondre

    Un vécu rempli d humour qui évoque des souvenirs à tous ceux qui ne sont pas ingénieurs en informatique…

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