DÉRIVES (8)

En sortant hier, en fin d’après-midi, d’une séance de mixage à Belleville, j’ai marché le long des boulevards qui mènent jusqu’à chez moi. J’étais content de cette séance, qui m’a rendu aimable cette Tour de Nesle que j’avais fini, après des mois de travail, par considérer comme une prison. J’étais content d’un appel que j’ai passé à une amie, peu suspecte de bienveillance, mais qui m’a dit que j’avais minci.

La vie sociale recommence. Les trottoirs sont peuplés de gens, qui vont et viennent. Le soleil me transporte dans une effusion de bonheur : le sentiment, soudain, que n’importe quelle rencontre est possible. Cela dure peu. Je me remets à tout caser dans des boîtes, dans des projets pour les journées à venir. Il faudra faire ceci, cela, pour avoir le droit d’exister. La fulgurance entrevue revient tout déborder. Ma manie organisatrice reprend le dessus, se laisse envahir, s’impose enfin. Plus sûrement que des boîtes, ce sont des scènes que je dispose mentalement, des projections de moi dans un texte. Noël en écrivain. Noël en cinéaste. Noël s’achetant une maison. Un théâtre où se joueraient, en alternance, plusieurs situations dont je règle d’avance la hiérarchie.

Une fois le programme fixé, on peut y aller. J’éprouve alors mon être, au sens le plus pur du terme. Ces structures que j’ai consolidées s’évanouissent, au profit d’une présence au monde. Ce n’est pas si pur que cela. Je m’interroge sur le rôle qu’y jouent, précisément, ces échafaudages préliminaires. Je me demande la part, là-dedans, des liens mis en place dès l’enfance. Est-ce que je ne recherche pas, en vérité, la manière dont se nouent les choses à travers le jeu et le langage ? Je songe, pour la première fois depuis longtemps, que je pourrais tomber amoureux. Le merveilleux me submerge, celui qui peut se présenter là, partout, à chaque coin de rue. Des visages vont à moi. Je n’ai pas complètement résolu le problème. Peu avant de mettre la clé dans ma serrure, j’entrevois une réponse. Ces scènes que j’interpose entre moi et le monde ne sont qu’un prétexte.

Plus tard, dans mon jardin, je suis traversé par une phrase d’Eric Rohmer, qui résume toute cette méditation confuse que je viens d’avoir. Je pars du théâtre, et j’espère en sortir. Cela pourrait être le titre d’un livre.




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