DÉRIVES (6)

Je vais et viens d’un extrême de l’appartement à l’autre, en cherchant un coin où écrire. Dans le jardin, la voisine pérore, du haut de son cinquième étage, et je l’entends comme si elle était à mes côtés. Je reste là, me repaissant de ce scandale, prêt à pousser une gueulante. Je me réfugie dans le salon. Trois ou quatre hommes, masqués, sont en train de se saluer. Comme par un fait exprès, ils se sont massés sur mon trottoir. Pressentant que cela va durer un moment, redoutant cette voiture d’où sortait tout à l’heure une musique (et où l’un des mecs vient de s’engouffrer), je vais chercher des boules Quies. Elles sont tout aplaties, écrasées par la nuit d’insomnie que j’ai passée, et où j’ai dû me retourner une vingtaine de fois contre l’oreiller. Ils s’éclipsent, sans bruit. J’en suis presque déçu. Derrière ce combat que j’allais livrer il y en a un autre, plus redoutable.

J’y suis mon seul ennemi. Je lutte, tel Don Quichotte, contre des pensées qui m’arrêtent, contre des possibles qui me hantent. Cela surgit de tout côté, au moindre prétexte. Père, gardez-vous à droite, père, gardez-vous à gauche ! D’où vient, déjà, ce cri d’un enfant à un combattant illustre ? Ce nom de père suffit à me donner un frisson. J’avance entre deux précipices, et j’ai le sentiment que les phrases sont le dernier lien auquel je puis encore m’accrocher. Elles se balancent au-dessus d’un vide terrible, qu’il ne faut pas regarder.




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