DÉRIVES (3)

Le déconfinement, je ne l’ai pas vu passer. Il est vrai que mon quartier est peu fréquenté. On y croise des vieux qui font leurs courses, des parents qui vont chercher leurs enfants à l’école de l’avenue Parmentier. Les rues n’étaient guère plus peuplées, hier après-midi, qu’elles ne le sont d’habitude. Il y avait davantage de masques. A presque chaque devanture, le masque s’affiche comme de rigueur. Un vent violent souffle dans ce décor triste, et le rend irréel. Je m’engouffre au dehors, en retenant ma casquette pour qu’elle ne s’envole pas. J’aimerais être exalté. Je cherche une joie, que je ne lis pas sur les visages à demi couverts. Il y a un peu de soleil.

L’action de faire mes courses m’apparaît en ce jour comme une aventure. Je passe en revue mes missions : le pressing, la poste, l’épicerie. Je commencerai par la poste. C’est merveilleux, plus que jamais, d’avoir des actes à effectuer qui ne relèvent pas de la pensée, qui ne m’obligent pas à m’interroger, sans fin, devant mon ordinateur. L’autre, selon Baudrillard, est ce qui me permet de ne pas me répéter à l’infini. Le plus infime contact avec le monde extérieur est bon à prendre. Un rideau de fer barre l’entrée de la poste. Cela m’aurait étonné. La seule explication réside dans une affichette, qui traîne là depuis un mois. Fermeture pour cause de pandémie, aurait-on lu dans un film d’avant-guerre (si tant est qu’on eût pu, alors, imaginer pareille histoire). Il y a un numéro de téléphone, pour les recommandés ; il vaut mieux les contacter par SMS.

Un type s’associe à ma fureur. Il a un courrier important à récupérer, et ne peut le faire que là. Quand il a appelé, il est tombé sur un employé ricanant. Je me livre à des diatribes sur cette poste où personne ne fout rien, où l’on perd son temps à venir chercher des lettres qu’ils ont eu la flemme de vous livrer, et ne sont même pas fichus de vous remettre. Sur ce trottoir où l’on sympathise, orphelins, on ressemble aux clients du bordel normand chez Maupassant, excédés de ne point trouver les pensionnaires fidèles au poste. Au numéro indiqué, j’envoie un texto scandé de points d’interrogation vengeurs. Des badauds se pressent, devant la porte close. J’hésite à les recruter dans mon syndicat improvisé. Le type s’en va.

Je ne sais que faire de ces contrats, de cette facture d’électricité que je m’apprêtais à estampiller, en tant que signe d’un lien social retrouvé. Il y a évidemment l’Office Depôt du boulevard Richard- Lenoir, où je pourrais aller acheter des timbres. Je n’ai pas mis de masque, et je crains qu’on ne me refoule. Je ne vais quand même pas me rendre aussi loin, pour deux courriers qui, après tout, peuvent attendre. Sans compter les boîtes aux lettres, qui, elles aussi, sont closes. L’absurde a ses limites. Ce recommandé que j’ai présenté dans mon texto comme urgent, c’est probablement un procès-verbal d’assemblée générale de copropriétaires, dont je n’ai cure.

Reste le pressing. J’avais oublié qu’il était fermé le lundi. Je me console grâce à des achats de bouche, qui ne sont pas urgents, eux non plus. Je m’essuie rituellement les mains, après avoir rangé tout cela dans le frigidaire. Ma facture EDF, je peux au moins la payer en ligne. Quels sont mes identifiants ? L’ordinateur s’en souvient pour moi. Mon compte personnel est inaccessible. La page demeure blanche.




Pas de commentaire

Poster un commentaire