DÉRIVES (1)

Deux hommes viennent d’échanger quelques mots, devant ma porte. Je n’en vois qu’un, à travers la vitre. Il affiche un sourire un peu contraint. “Pour elle, ça ne change pas grand chose : elle vivait déjà confinée.” Parle-t-il de sa femme ou de sa mère ? Il s’engouffre dans sa voiture.

Mon contact avec le monde extérieur se réduit à cela. Des fragments de paroles saisies au vol. Des gens qui passent leur chemin, cachant leur visage. Plusieurs SDF qui campent sur le trottoir, et c’est moi qui fuis leur regard. Je marche sans m’arrêter, ralentissant le pas au coin d’une rue, de peur de me heurter à un inconnu.

Huit heures du soir. Le Carrefour du boulevard Voltaire est peuplé de clients qui ne parlent pas, qui évitent soigneusement de se frôler. J’attends, à un mètre de distance, que la dame en face de moi ait fini de vider son sac. Un jeune homme me propose de passer devant lui à la caisse automatique, et cette voix prend les proportions d’un miracle. En ce matin où j’écris, les cloches de l’église Saint-Ambroise achèvent de s’éteindre. Une sirène a retenti. Le vent fait jouer sur le trottoir un morceau de ferraille. Tout se détache.




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