DÉRIVES (2)

Avant-hier, je vais faire quelques courses au Carrefour de l’avenue Parmentier. J’aime bien son ambiance un peu éteinte, à l’image de ce quartier. Il y a là un patron barbichu, un Badinguet d’épicerie qui règne à la papa sur des employés arabes. Ceux-ci lui semblent tout dévoués, rient de ses blagues. Il me donne du “Bonjour, Monsieur” d’un ton onctueux. J’hésite à utiliser le buffet frais qu’ils ont mis en place, je me borne à acheter, deux fois par semaine, des plats Weight Watchers ou des escalopes de veau panées. C’est plus rapide.

Un voile tombe sur cette atmosphère bon enfant. A l’entrée, un vigile surveille si les clients restent à égale distance les uns des autres. Les caissiers sont gantés, et séparés de nous par des morceaux de plexiglass, dont l’efficacité me paraît douteuse. Une femme, devant moi, n’en finit pas de déballer ses achats et de fouiller dans son porte-monnaie. Perdu dans mes pensées, je flotte, à quelques centimètres d’elle. Le caissier me demande de ne pas m’approcher. Je recule vaguement, sans comprendre ce qu’il veut dire. Il réitère sa demande, d’un ton cassant, d’un ton de flic, ou de prof qui va sévir.

J’ai compris. Je ravale mon humiliation. En temps normal, je ferais un scandale. J’ai une phrase toute faite, prête à sortir, du style “Vous n’êtes pas obligé de me parler comme à un gamin”. Quand je pense au nombre de fois où j’ai été dans ce magasin. Je préfère me taire, et rester là, sans oser courir à l’autre caissse qui se libère, celle du patron onctueux. J’attends, pétrifié, que le caissier veuille bien s’occuper de moi. Une fois mon tour venu, je m’efforce au plus grand calme. En lui disant qu’il peut garder le ticket, je le quitte presque à regret.




Pas de commentaire

Poster un commentaire